MARION ARTENSE GÉLY
LA QUÊTE DES LUCIOLES
Nov. 30, 2023 - Jan. 20, 2024
Myriam Chair est heureuse de présenter la première exposition personnelle de Marion Artense Gély, La Quête des lucioles, à partir du jeudi 30 novembre 2023.
Née en 1995, Marion Artense Gély vit et travaille à Paris. Diplômée de l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy (ENSAPC) en 2020, elle est depuis 2021 en résidence à POUSH Manifesto, à Aubervilliers.
Médium privilégié de sa pratique artistique, la peinture permet à Marion Artense Gély d’explorer des mondes à priori hors de portée de nos sens ; là où réside l’envers des choses, là où les formes évanescentes apparaissent telles des états transitoires. Les motifs sans contours qui émanent de ses toiles créent des espaces aux dimensions équivoques où l’infiniment grand et l’infiniment petit écrivent des histoires dans lesquelles l’aube et le crépuscule semblent se rejoindre. Marion Artense Gély emploie les techniques anciennes du glacis et du sfumato dans une logique de repentir incessant (chacune des toiles résultant d’une accumulation de 50 à 120 couches de peinture à l’huile). Son geste se rapproche de celui de l’archéologue parti en quête, parmi les strates d’anciens mondes, d’une trace de ce qui a été, aussi effroyable ou grandiose, aussi étrangère ou viscérale soit elle. À l’image de son installation immersive, Moon Burn, (2020) qui l’a menée sur les flancs du Mont Mauna Kea de l’île d’Hawaï où les autochtones hawaïens parlent d’une force invisible, le Mana, qui imprègne l’univers et dont l’essence des âmes serait faite ; et où les astronomes du monde entier scrutent la voûte céleste en quête de l’énergie noire qui composerait 70% de notre univers, 70% d’inconnu, d’invisible. S’ensuivra, Altar, (2021), une étude photographique, esthétique et anthropologique sur les « pierres dressées » bretonnes de l’époque du néolithique, qui fera naître chez Marion Artense Gély la nécessité d’un nouveau medium, sculptural cette fois, où la répétition du geste reste, mais où le figuratif surgit.
Force, Énergie et Émergence, la trinité au cœur de sa peinture, entre désormais en résonnance avec le travail de la céramique. Un rituel instauré dans l’attente des longs temps de séchage qu’impliquent sa technique picturale et dont elle se sert désormais pour appréhender une Émergence obsédante : le vivant.
Pour sa première exposition personnelle,
La Quête des Lucioles, Marion Artense Gély propose une expérience où Art et Rite s’uniraient pour tenter de résister à l’éradication du vivant. Une résistance née d’intuitions intimes et qui ont su trouver échos dans les mots de certains guides. Comme Pier Paolo Pasolini qui, dans article publié dans le Corriere della Sera du 1er février 1975 intitulé
Le vide du pouvoir en Italie, évoque la métaphore de la disparition des lucioles pour parler d’une civilisation et d’une culture dévorée par la société du spectacle et du consumérisme. L’auteur italien y voit là, ni plus ni moins, l’héritage du fascisme, sa mutation la plus aboutie, la plus « génocidaire ».
Neuf mois plus tard, Pasolini est assassiné, et avec lui c’est une lueur de plus que l’on a cru voir exterminée. Car pour Marion Artense Gély, les lucioles ne se sont pas tues dans les ténèbres d’une nuit noire mais bien sous les lumières éblouissantes et orgueilleuses des hommes. La présence ou même les traces de ces derniers sont d’ailleurs absentes de son travail.
Comme s’il fallait se retirer de leur monde pour retrouver espoir. « Il y a tout lieu d’être pessimiste », écrivait Georges Didi-Huberman dans son essai La survivance des lucioles,
« mais il est d’autant plus nécessaire d’ouvrir les yeux dans la nuit, de se déplacer sans relâche, de se remettre en quête », ajoutait-il. Cette quête aurait pu être vaine. Pourtant, il y a quelques années, loin de chez elle, dans une forêt de l’état mexicain de Oaxaca, Marion Artense Gély surprend dans une nuit sans lune une étrangeté nocturne ; une danse de scintillements grêles et insaisissables dont la pulsation lui donne soudain, et peut-être pour la première fois, la mesure d’une distance qui relie son être à l’aube du monde. Nulle. Tout n’était pas mort donc, puisqu’il était possible de se sentir à nouveau en vie.
La Quête des Lucioles propose au spectateur de reconquérir cet état par une déambulation au milieu de verticalités picturales et sculpturales qui l’immergent dans un paysage. Les céramiques aux allures de végétaux se transforment en totems et les toiles suspendues laissent pénétrer la lumière comme les vitraux d’une nef. L’introspection et la méditation peuvent alors commencer. Les formes et les couleurs apparaissent soudain sous les paupières fermées. Des lumières phosphorescentes, passagères et rythmées peuplent l’espace et surgissent des corps. La relation entre l’intérieur et l’extérieur renaît. La survivance des lucioles… Et le paysage s’est métamorphosé en pays-sage.
Dans son essai Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce, Corinne Morel Darleux, insiste sur le fait que dans la bataille culturelle qui est en cours, il ne s’agit plus seulement d’informer ou de convaincre, il s’agit, peut-être plus que jamais, de « percuter les sens en s’adressant aux tripes, aux veines et aux poings ». (Re)voir les Lucioles n’est pas un soulagement mais un engagement, une initiative. De la méditation doit succéder l’éthique et de l’éthique le mouvement ; peu importe qu’il soit aussi frêle, intermittent et erratique que le vol d’une luciole. Car la rencontre de celle-ci est une magie, un grand mystère qui, plutôt que d’éblouir, éclaire. Et si le sort des Lucioles ne dépendait pas du lien retrouvé entre les sens et le sensé ?
Benjamin Cazeaux-Entremont
Crédit photo : Margot Montigny